Pour tout Camerounais de coeur, la date du 29 Décembre 1946 restera inoubliable. Elle rappelle la triste nouvelle qui vint téléphoniquement d’Edéa, se répandit en traînée de poudre, frappa de stupeur quiconque l’entendit, ébranla Douala et le Cameroun entier.
Le Pasteur Adolphe Lotin à Same vient d’expirer des suites d’une opération.
A treize ans de ce douloureux événement et à la veille de l’indépendance du Cameroun, il m’est fort aise de parler de ce grand fils qui posa le premier jalon de cette liberté […]
Mon rôle ici ne consiste pas à faire la biographie de ce citoyen perspicace, mais de mettre laconiquement en relief son esprit de détermination, d’abnégation, de désintéressement, et son sens du devoir.
Adolphe Lotin’a Same o pond’essombe
Né le 08 Octobre 1881, à Bonamouti, Akwa Douala, de père Same Mulobe, et de mère Ndongo Ekondedi, il fut baptisé par son cousin, le pasteur J.-D. Mouyombon, et ordiné pasteur, le 12 Janvier 1908 par le missionnaire Charles Bender.
Il évangélisa dès son sacre, en collaboration avec ses chefs blancs, jusqu’en 1914.
Son appartenance à la N.B.C. n’était pas ignorée par ces derniers. Après la guerre, il eut la bonne fortune, de diriger les deux missions, jusqu’à l’arrivée des nouveaux missionnaires auxquels il passa les clefs. Il collabora aussi avec ces nouveaux venus. Il tenait seul l’important district de Wouri-Somo, avec résidence fixe : Mountimbélémbé-Wouri.
Le 17 Mai 1921, un vote unanime proclama Lotin à Same Président de la N.B.C., congrégation la plus ancienne au Cameroun, en ce que, fondée par le pionnier Alfred Saker depuis 1845.
La chance ne sourit pas immédiatement au jeune chef. Lotin à Same, exhorté par ses camarades pasteurs à rallier la cause du pays, se vit vite abandonné, trahi… Heureusement, il avait derrière lui ses diacres, fidèles à leur serment, aussi inflexibles et déterminés que lui-même.
La Congrégation des Missions Baptistes (européenne), voyant en Lotin à Same un homme avisé, courageux et décidé, voulut l’écarter de son chemin.
Quoi de plus simple? La raison du plus fort n’est-elle pas la meilleure ?
Et, qui veut noyer son chien ne l’accuse-t-il pas de rage ?
C’est ainsi que le missionnaire Charles Maitre, avec l’appui des sympathisants d’hier de Lotin à Same, décida et proclama l’excommunication de ce dernier. La N.B.C. (E.B.C.) s’apercevant de cette injustice criante, se rangea derrière son chef, émit une contre décision, et la lutte commença. Malgré sa position diamétrale à celle de l’E.B.C., l’administration locale — à cette époque de colonialisme — rendit néanmoins officielle la décision du pasteur Charles Maitre.
Lotin à Same et l’Eglise qu’il fut appelé à diriger, rentrèrent dans l’illégalité. Plus d’offices pour les fidèles. Tous les temples de la N.B.C. étaient scellés par la justice…
Outre ces mesures vexatoires, Lotin à Same fut soumis, en residence surveillée, dès 1922, comme élément dangereux. Il n’avait même pas le droit de se rendre à Bonabéri (banlieue de Douala) sans laissez-passer. C’est dans la nuit de ces difficultés qu’il eut l’inspiration de composer plusieurs centaines de cantiques à la « negro spiritual ». II intitula son oeuvre Esew’a Bosangi.
Sa popularité augmenta. Il organisa un véritable choeur mixte. Ses chanteurs vinrent de tous les quartiers de Douala et de toutes les religions, sans distinction. Les familles éprouvées par des deuils prirent l’habitude de l’inviter en vue d’organiser des veillées funèbres. Par les chants entrecoupés de ses prêches en plein air, celles-ci se sentaient réconfortées, consolées.
En 1927, il fut sérieusement secoué par une série de deuils successifs : Sa mère, son frère aîné, son épouse; lui laissant un unique garçon de cinq ans.
Adolphe Lotin’a Same o ponda malebu ma munjao Catherine
Malgré cet orage, il ne fléchit point, mais persista dans la foi, lutta de plus en plus vaillamment.
En 1930, une lueur pointa à l’horizon. La N.B.C. pouvait tenir ses cultes sous les manguiers, les kolatiers, et dans des lieux retirés.
Elle gagna son procès en 1932 et recouvra sa légalité. Cette autorisation fut inaugurée au Temple baptiste de Bonalembe, sous la présidence du missionnaire Jean Russillon.
De nombreuses personnalités administratives, civiles, religieuses, européennes et africaines honorèrent cette cérémonie triomphale.
Le 11 Février 1933, une conférence de la Native Baptiste Church rénovée, après un nouveau vote unanime, conféra à Lotin à Same les pouvoirs de président. Ces pouvoirs furent sanctionnés par une décision du Chef de Région, alors M. Jean Michel, le 08 Septembre 1933.
Son courage et sa bonne humeur habituels ne l’abandonnèrent jamais. Soldat de Christ, se disait-il, il se sentait heureux de souffrir à son tour pour son Sauveur. Il mena ainsi une vie de supplices durant plusieurs années.
La vérité finit toujours par triompher.
Il devint finalement l’ami du Chef de Région Jean Michel, auparavant son grand ennemi. Reconnaissant son équilibre moral, il finit par lui dire un jour :
Lotin à Same, vous êtes l’unique homme que j’ai vu dans ce pays !
C’est ainsi qu’il aida l’administration à l’élaboration d’un ouvrage traitant sur la coutume Douala, qui fut d’une grande utilité pour les magistrats, Chefs de Régions et de Subdivisions. Ce petit recueil existe à ce jour au Parquet de Douala et dans d’autres archives de l’Etat du Cameroun.
Sur le plan social, en homme averti, il n’épargna pas ses conseils aux fidèles de son Eglise en lesquels il développa le goût du travail. Il leur faisait comprendre qu’aucun métier n’était humiliant. Il réussit à faire faire le travail de manutentionnaire à certains autochtones Douala à la Woermann Linie, au quai de Bonaberi, surveillant lui-même. Il confirma, ici encore, son role d’éducateur spirituel et social.
Ses adversaires ne cessèrent point de le harceler, ils profitèrent de l’état de guerre 1939-1945 pour l’envoyer finalement en prison en Décembre 1940.
Lotin à Same, après une détention prévention de six mois, sortit triomphalement de sa prison en Juillet 1941. Le vase de Dieu, c’est ainsi qu’il fut surnommé, se remit au travail avec la même constance, le même désintéressement, sacrifiant même ses biens de famille au profit de l’Eglise.
Il fit un projet de cathédrale qu’il n’eut pas le temps de réaliser, la mort l’ayant surpris le 29 Décembre 1946 […]
Par Toto Same Charles, Diacre
29 Décembre 1959
Afo A Kom n°10 – Novembre 1983 par Samuel Nelle
Cliquez sur l’image pour l’agrandir
Cliquez sur l’image pour l’agrandir